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Transformer l’histoire humaine : La lumière de la paix et de la dignité (Proposition pour la Paix 2022)

Daisaku Ikeda
Président de Soka Gakkai International (SGI)

le 26 janvier 2022

Alors que nous approchons du second anniversaire de l’annonce officielle de la pandémie de coronavirus (la Covid-19), des variants continuent d’émerger, causant de nouvelles vagues d’infection et créant des conditions éprouvantes dans bien des pays. Il est pénible de voir tant de gens dans le monde supporter, sans réconfort ni soutien, des souffrances liées à la détérioration de leur santé, et de leur mode de vie, et à la perte de leurs objectifs, ou plonger dans une profonde détresse après avoir perdu des membres de leur famille ou des amis.

La vie quotidienne se poursuit sans que nous ayons une vision claire de ce qui nous attend demain, et les effets de la pandémie se perpétueront probablement à long terme. Certains ont même suggéré qu’il y aura dans l’Histoire un avant et un après-Covid. S’il est indéniable que la pandémie représente une menace sans précédent au regard des événements et des tendances qui ont marqué l’Histoire, il est également clair que nous ne pouvons pas nous contenter de subir une telle situation, synonyme de perte et de détérioration. Je dis cela parce que je suis fermement convaincu que le facteur clé déterminant le sens de l’Histoire se révélera être nous, les êtres humains, et non un virus.

Plongés dans la confusion et l’hébétude alors que des conditions qui nous semblaient auparavant inimaginables ne cessent de se présenter, les êtres humains ont tout naturellement tendance à se concentrer sur les aspects négatifs. Mais il est crucial de déceler des sources d’espoir dans les actions positives entreprises pour résoudre la crise et de lutter pour les soutenir et les développer.

Bien que confronté à des menaces de nature différente, Tsunesaburo Makiguchi (1871-1944), le président fondateur de la Soka Gakkai, a fait part de ses réflexions en novembre 1942 – au cœur de la Seconde Guerre mondiale – afin de dissiper les brumes épaisses et de surmonter les troubles de l’époque. Selon lui, il fallait éviter l’approche extrême − « la vision fermée » − qui consiste à se cloîtrer dans les réalités immédiates en se détournant du reste ; il encouragea aussi à éviter l’autre extrême, le « regard distancié », caractérisé par des slogans vides, qui ne sont pas accompagnés d’actions pour transformer la réalité. Il appela plutôt la société de son temps à adopter une « vision claire et équilibrée » permettant aux êtres humains d’agir face à la situation présente en sachant clairement pour qui et pour quoi ils agissent. Makiguchi considérait ce type de vision claire et équilibrée comme également nécessaire dans la vie quotidienne mais il précisa que cela ne nécessitait pas de connaissances ou une compréhension particulières, ni de capacités exceptionnelles.

Je crois que, dans notre expérience quotidienne, face à ce tourbillon de perturbations et de déplacements provoqué par la pandémie au niveau mondial, nombreux sont ceux qui en sont arrivés à cette prise de conscience :

  • Nos vies ne sauraient exister sans le soutien de beaucoup d’autres personnes et un bon fonctionnement de la société, et c’est à travers nos relations avec les autres que nous éprouvons nos joies les plus intenses.
  • Il existe des liens profonds et une relation de réciprocité entre tous les problèmes du monde ; les menaces et défis auxquels des êtres humains sont confrontés dans des lieux éloignés de nous gagneront rapidement notre environnement immédiat.
  • La douleur éprouvée à la suite de la perte de membres de notre famille ou du fait d’être coupé de ce qui donne du sens à notre vie est la même pour tous les êtres humains, quel que soit le pays dans lequel ils se trouvent ; si les contextes peuvent varier, la tragédie est par essence identique.

Rien n’est plus crucial que de forger des liens de solidarité en prenant conscience des connexions profondes et intenses apparues durant cette crise sans précédent et en agissant ensemble, sur cette base, afin de trouver une issue au milieu de la tempête.

M. Makiguchi aimait beaucoup cet adage bouddhique : « Quand le ciel est clair, la terre est visible [1]. » Il était en effet fermement convaincu que les êtres humains possèdent la capacité intrinsèque de dissiper les ténèbres apparemment impénétrables qui pèsent sur le monde et d’éclairer la voie vers un avenir plein d’espoir.

J’aimerais maintenant évoquer, à partir de trois perspectives différentes, ce que je considère comme essentiel pour surmonter non seulement la crise de la Covid-19 mais aussi les autres défis auxquels notre monde est confronté, afin d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire humaine.

Retisser le lien social

Le premier défi consiste à affronter les difficultés engendrées par la pandémie pour retisser une base sociale sur laquelle les êtres humains pourront s’appuyer dans les années et décennies à venir.

Si la Covid-19 a eu un impact sur tous les secteurs et tous les aspects de la société, le degré de cet impact a varié selon les conditions propres à chacun. Ceux qui étaient déjà dans une position vulnérable ont sombré dans un état encore plus désespéré. Les difficultés auxquelles ils sont confrontés dépassent ce que peut supporter un être humain, et ceci est également vrai pour beaucoup de ceux qui, auparavant, menaient des existences relativement stables.

L’importance de l’impact dépend d’un certain nombre de facteurs. Les personnes touchées peuvent-elles, par exemple, compter sur le soutien de leur entourage si elles tombent malades ? Peuvent-elles continuer à travailler même quand des mesures strictes sont mises en place pour contenir la contagion ? Ont-elles la capacité de répondre aux changements à la fois rapides et tragiques au sein de leur environnement ?

Alors qu’il est urgent de reconstituer dès que possible une vie sociale, si nous nous intéressons seulement à des données statistiques telles que le nombre de personnes infectées ou à des indices économiques, cela peut engendrer des angles morts sur le plan éthique, laissant ainsi un grand nombre de personnes de côté. On peut craindre alors que ces angles morts ajoutent aux différences d’impact des différences dans l’évolution vers un rétablissement complet.

La pandémie de la Covid-19 a eu un impact sur toute la société humaine. Contrairement aux désastres dont les effets négatifs sont concentrés dans un espace géographique restreint, les personnes qui ont besoin d’aide ne sont pas, dans ce cas, réunies en un seul lieu tel qu’un centre de secours. Par ailleurs, après avoir compris de façon presque viscérale la nécessité de limiter nos contacts et interactions pour empêcher la propagation de l’infection, nous courons le risque, par besoin de protection, de créer une sorte de « verrouillage de la conscience ». Nous aurons alors beaucoup de difficultés à nous impliquer dans ce qui dépasse notre environnement immédiat.

Pour alimenter cette réflexion sur les moyens d’éliminer les différences d’impact et de facultés de rétablissement, j’aimerais évoquer ici une conférence du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, de juillet 2020, environ quatre mois après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu le caractère pandémique de la Covid-19. Dans le cadre d’un événement célébrant l’anniversaire de la naissance du regretté président d’Afrique du Sud, Nelson Mandela, (1918-2013), qui consacra sa vie à la cause des droits humains et de la justice sociale, le secrétaire général fit porter son analyse non pas sur les dangers et menaces posés par la pandémie mais sur les personnes qui en ont subi réellement l’impact. Il indiqua que ce sont les plus marginalisés qui courent le plus grand risque face au virus, notamment les pauvres, les personnes âgées, les handicapés et celles et ceux qui souffrent de pathologies préexistantes.

Après avoir comparé la Covid-19 « à un rayon X révélant des fractures du squelette fragile des sociétés que nous avons bâties », il appela au développement d’un nouveau contrat social pour une ère nouvelle. Le secrétaire général cita alors ces paroles adressées par Nelson Mandela au peuple d’Afrique du Sud qui nous offrent une direction concrète : « Un des défis de notre époque […], c’est de réinsuffler dans la conscience de nos peuples le sens de la solidarité humaine, d’être dans le monde les uns pour les autres, grâce aux autres et à travers eux [2]. »

J’ai eu le privilège de rencontrer le président Mandela à deux reprises et ces mots me rappellent son visage, aussi chaleureux que le printemps.

Dans ma Proposition pour la paix de 2015, je me suis penché sur les limites de la théorie du contrat social, qui fait partie des courants profonds sous-tendant la pensée politique moderne. J’ai alors souligné ses aspects problématiques mis en avant par la philosophe américaine Martha Nussbaum.

La théorie du contrat social tire ses origines de penseurs tels que Thomas Hobbes (1588-1679) et John Locke (1632-1704). Dans son ouvrage Les frontières de la justice, Martha Nussbaum déclare : « Les théoriciens classiques ont tous considéré que leurs agents contractuels étaient des hommes de capacités à peu près équivalentes et en mesure de contribuer à des activités économiques productives [3]. » Du fait de l’importance accordée au concept d’avantage mutuel, non seulement les femmes mais aussi les enfants et les personnes âgées ont été exclus, et il y a eu peu d’évolution vers une inclusion globale des autres personnes, notamment des handicapés, dans la vie sociale. Il est profondément regrettable que, au cœur même de la crise de la Covid-19, ce mode de pensée bien ancré continue d’exercer une puissante influence.

Dans les espaces de décision mis en place pour répondre à la pandémie, la participation des femmes a été limitée et il y a eu des critiques liées au fait que bien des réponses ont été développées sans prendre en compte la question du genre. Quant aux intérêts des enfants, ils n’obtiennent que rarement l’attention qu’ils méritent et la Covid-19 a causé des pertes majeures en matière d’opportunités éducatives. Beaucoup d’enfants se sont aussi retrouvés sans soutien à cause du chômage, de la maladie ou de la mort de leurs parents, de leurs tuteurs, ou d’autres membres de leur famille.

De même, les personnes âgées et handicapées n’ont souvent pas pu obtenir de réponses à leurs besoins urgents, et beaucoup n’ont pas pu bénéficier de services essentiels ou ont été contraintes de vivre isolées durant de longues périodes. Même dans des contextes non urgents, les personnes handicapées ont des difficultés à accéder aux services médicaux et aux informations nécessaires ; ces aspects de leur vie et d’autres encore sont devenus encore plus problématiques durant la pandémie.

Il est crucial d’améliorer la situation de toutes ces populations vulnérables en prêtant une attention toute particulière à chacun. Alors que nous faisons face à toutes ces réalités, le temps est venu de nous libérer du concept classique d’avantage mutuel.

Si nous prenons en compte ce changement de paradigme, je pense que les paroles prononcées par le secrétaire général des Nations unies à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, en juin dernier, méritent d’être prises en compte : « Nous guérirons ensemble quand nous aurons tous obtenu l’attention dont nous avons besoin [4]. »

Actuellement, plus de 82,4 millions de personnes dans le monde ont été contraintes de fuir leur foyer afin d’échapper aux dangers liés aux conflits, aux persécutions et au changement climatique, et se retrouvent exclues des systèmes de protection sociale du pays hôte. M. Guterres a exercé pendant de nombreuses années la fonction de haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et l’appel qu’il lance en faveur des réfugiés et des personnes déplacées, dont la précarité n’a fait que s’accentuer avec la crise de la Covid-19, possède donc un grand poids et une profonde portée émotionnelle.

Je sens que cet état d’esprit s’accorde avec le mode de vie idéal prôné par la SGI [5] – l’engagement à parvenir soi-même à la dignité et au bonheur, et à aider les autres à faire de même.

Le Sûtra de l’enseignement de Vimalakirti est un sûtra du bouddhisme mahayana qui comporte un épisode faisant écho à cette vision du monde et à cette sensibilité à la vie.

Vimalakirti était un disciple de Shakyamuni (le Bouddha historique) profondément respecté pour sa capacité d’entretenir des relations avec des personnes aux modes de vie les plus divers, sans tenir compte des différences ou de la distance. Mais un jour, il tomba malade. Lorsque Shakyamuni l’apprit, il chargea tout un groupe de disciples, sous la direction du plus important d’entre eux, Manjusri, d’aller lui rendre visite. Après avoir dit à Vimalakirti combien Shakyamuni se souciait de sa santé et transmis ses vœux de bon rétablissement, Manjusri lui demanda comment il était tombé malade, depuis quand, et quel traitement il comptait suivre.

« C’est parce que tous les êtres vivants sont malades que je le suis aussi », répondit Vimalakirti, et il présenta alors une analogie pour faire pleinement comprendre ses paroles : « C’est comme un homme riche ayant un seul enfant. Si l’enfant tombe malade, alors le père et la mère seront eux aussi malades, mais si l’enfant guérit, le père et la mère guériront également. » Il expliqua ensuite que, ayant choisi de mener la vie d’un bodhisattva, il éprouvait envers les autres des sentiments comparables à ceux d’un parent. Et donc « si les êtres vivants sont malades, le bodhisattva le sera aussi, mais s’ils guérissent, il guérira également [6]. »

En fait, Vimalakirti ne souffrait pas d’une maladie particulière. Il partageait les souffrances des autres et il en serait ainsi tant que leurs souffrances ne seraient pas soulagées. En somme, c’était son empathie qui se manifestait sous la forme d’une maladie. Pour Vimalakirti, partager les peines des êtres en détresse n’était pas une expérience pesante ou un fardeau, mais la preuve qu’il vivait bien en accord avec son soi profond. Il était en parfaite harmonie avec cette vérité fondamentale : on ne peut pas vivre en sécurité de manière isolée, alors que d’autres sont en proie à de terribles privations.

Lorsque nous considérons la crise de la Covid-19 d’un point de vue bouddhique, nous nous demandons tout naturellement ce que signifie vivre heureux et en bonne santé dans une période où tant de gens à travers le monde sont sévèrement impactés par la maladie et les effets qui l’accompagnent.

Dans ce contexte, je me rappelle des propos tenus par John Kenneth Galbraith (1908-2006) lors d’un dialogue que nous avons eu ensemble. Le Pr Galbraith était un érudit de grand renom qui avait été confronté à une multitude de crises planétaires, notamment la Grande Dépression, la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide. Il fut profondément affecté de voir tant d’êtres humains souffrir toujours des mêmes maux et cela l’amena à s’interroger sans cesse non seulement sur l’ordre économique mais aussi sur l’organisation de la société elle-même.

Quand je lui ai demandé quelle forme devrait prendre le monde au XXIe siècle, il me répondit que nous devrions chercher à créer « un siècle où les êtres humains pourront dire : "J’aime vivre en ce monde" ».

Dans notre dialogue, nous avons évoqué la conception bouddhique – exprimée par la formule du Sûtra du Lotus « les êtres vivants se divertissent à leur guise [7] » −, selon laquelle nous naissons en cette vie afin de savourer la joie. Notre dialogue a eu lieu en 2003 et, dans les années écoulées depuis, ma conviction dans le bien-fondé des propos tenus par le Pr Galbraith n'a fait que s’approfondir : aujourd’hui plus que jamais, nous devons construire une société où les êtres humains pourront affronter et surmonter ensemble les obstacles les plus difficiles et partager ainsi la même joie d’être en vie.

Cette année marque le septième anniversaire de l’adoption des Objectifs de développement durable des Nations unies (ODD), avec pour année cible 2030. La progression vers la réalisation de ces ODD a été fortement entravée par la pandémie. Afin de relancer et d’accélérer le rythme, il me semble important d’enrichir l’esprit même des ODD − la détermination à ne laisser personne de côté – en y ajoutant cette perspective : bâtir une société où tout le monde pourra savourer la joie d’être en vie.

Juste après un désastre, l’esprit de ne laisser personne de côté est généralement partagé spontanément. Mais, à mesure que la reconstruction progresse, il a tendance à disparaître des consciences. Par ailleurs, plus il s’agit d’un défi de grande portée – comme dans le cas d’une pandémie ou du changement climatique –, plus grand est le danger de ne se préoccuper que de la menace et, même si nous savons l’importance de ne laisser personne de côté, notre engagement à agir en ce sens peut s’affaiblir avec le temps.

Nous devrions donc faire des efforts pour que ceux qui sont exposés à de grands dangers aient dans leur entourage immédiat des personnes sur lesquelles ils puissent compter. J’aimerais revenir ici sur la conférence de M. Makiguchi que j’ai évoquée plus tôt, dans laquelle il prônait une vision claire et équilibrée de la vie.

M. Makiguchi a remis en cause la conception traditionnelle du « grand bien » selon laquelle seule une action qui a un impact significatif à l’échelle d’une nation peut être qualifiée ainsi. Selon lui, ce n’est pas l’échelle ou la dimension de nos actions qui importe. Si vous sauvez la vie d’une personne en lui donnant un verre d’eau, n’est-ce pas une noble action qu’aucune somme d’argent ne saurait suffire à récompenser ? À travers cet exemple, nous pouvons sentir la conviction de M. Makiguchi : « La valeur ne se trouve pas dans les choses elles-mêmes mais dans les relations. »

Il n’y a pas une solution « toute faite » capable de répondre à tout l’éventail de problèmes auxquels les êtres humains peuvent être confrontés. C’est pour cela que nous devrions tous nous poser ces questions cruciales : Comment faire pour aider tous ceux qui font face à de grandes difficultés ? Comment développer des relations solides à travers lesquelles nous pourrons partager tous ensemble la joie d’avoir surmonté nos épreuves respectives ? Dans le Sûtra du Lotus, enseignement qui expose l’essence du bouddhisme, nous trouvons ces analogies : « comme un feu pour qui a froid […] [comme] une personne trouvant un bateau pour traverser les mers […] [comme] une personne plongée dans l’obscurité trouvant une lampe [8] ».

Une personne que nous avons aidée à s’extraire du tumulte des épreuves de la vie et du désespoir éprouve alors un sentiment de soulagement et même une joie profonde… Nous devons chercher à construire une société où ce type de sentiments – la sensation palpable qu’il est si bon d’être en vie – est partagé par tous.

Une conscience solidaire au niveau mondial

Le deuxième défi que j’aimerais aborder concerne l’établissement d’une conscience solidaire qui s’étende à l’échelle mondiale.

On dit que le sentiment de crise ressenti dans tous les pays du monde en réaction à cette pandémie est absolument sans précédent. Pour autant, le degré de coopération internationale n’a pas été à la hauteur, et l’inégalité en termes d’accès aux vaccins est flagrante. Alors que de nombreux pays instaurent des vaccinations de rappel, à la fin de l’année dernière seule la moitié des 194 États membres de l’OMS avaient entièrement vacciné 40 pour cent ou plus de leur population [9]. L’obtention du vaccin s’avère encore extrêmement difficile en Afrique, où seulement 8 pour cent de la population du continent a reçu deux doses de vaccin [10]. Il est crucial de remédier en toute hâte aux déficiences de la coopération internationale qui ont conduit à ce que dans de nombreux pays des personnes attendent toujours d’avoir accès aux vaccins.

Il me semble que le physicien Albert Einstein (1879-1955) a exprimé ce que beaucoup de personnes réfléchies pensent face à la situation actuelle. En 1947, à l’époque où les tensions de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique apparues à la fin de la Seconde Guerre mondiale s’aggravaient, Einstein exhorta le monde à rejeter la division pour avancer sur la voie de la solidarité :

« La réaction serait différente si, par exemple, une épidémie de peste bubonique menaçait le monde entier. Si tel était le cas, les personnes de conscience et les spécialistes seraient amenés à se réunir et à travailler ensemble à l’élaboration d’une stratégie appropriée pour lutter contre ce fléau. Après s’être mis d’accord sur les meilleurs méthodes et moyens à mettre en œuvre, ils soumettraient leur plan aux gouvernements qui ne soulèveraient pas de fortes objections mais s’emploieraient au contraire à appliquer rapidement ces mesures. Ces derniers n’envisageraient même pas de chercher à résoudre le problème en sauvant seulement leur propre nation et en laissant leurs voisins à leur triste sort [11]. »

Actuellement, une stratégie appropriée et les meilleurs méthodes et moyens ont été étudiés et concrétisés sous la forme du dispositif Accélérateur ACT, qui a pour but d’accélérer l’accès aux outils de lutte contre la Covid-19. Il s’agit d’une riposte coordonnée à l’échelle internationale lancée en avril 2020, un mois seulement après que l’OMS a qualifié la Covid-19 de pandémie. Au sein de ce dispositif, le mécanisme Covax vise à garantir l’accès équitable aux vaccins dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Plus d’un milliard de doses de vaccins ont été distribuées dans 144 pays et territoires depuis [12], ce qui est encore loin des deux milliards prévus à l’origine par le projet Covax. Ce déficit est dû aux retards dans le financement des projets de coopération ainsi qu’à la concurrence en matière d’approvisionnement. Il est donc crucial de renforcer rapidement le soutien au Covax.

Au sommet du G20 qui s’est tenu à Rome en octobre dernier, un accord a été trouvé pour accélérer la transmission des vaccins et des biens médicaux dans les pays en voie de développement. Comme le souligne avec force le Rapport du groupe indépendant de haut niveau du G20 sur le financement des biens communs mondiaux, les capacités et ressources requises à l’échelle mondiale pour réduire les risques posés par les pandémies ne manquent pas, pas plus que le savoir-faire scientifique et les sources de financement nécessaires pour mettre en œuvre une réponse efficace à la Covid-19 [13].

En plus « du plan approprié et des meilleurs méthodes et moyens » suggérés par Einstein, qui existent déjà concrètement à travers les activités du Covax et le consensus obtenu au G20, le dernier élément manquant pour surmonter cette crise est un type de solidarité globale où les pays cherchent à se protéger non seulement eux-mêmes mais également tous les autres face à cette menace.

La création de l’OMS remonte aux débats de la Conférence de San Francisco, où les représentants gouvernementaux s’étaient réunis entre avril et juin 1945 pour mettre au point la Charte des Nations unies. À l’origine, la question de la santé publique ne figurait pas à l’ordre du jour, mais elle fut abordée en raison de sa grande importance. Elle fut introduite en définitive dans l’Article 55 de la Charte comme un des domaines pour lesquels il conviendrait de favoriser la coopération internationale, ainsi que dans l’Article 57 où il est annoncé qu’une institution spécialisée des Nations unies lui serait dédiée [14].

Lors de la conférence organisée l’année suivante pour fonder l’OMS, les gouvernements, notamment ceux des anciens pays de l’Axe – Japon, Allemagne et Italie – furent invités en qualité d’observateurs, avec l’idée qu’impliquer tous les États, quelles qu’aient été leurs alliances pendant la Seconde guerre mondiale, servirait mieux les intérêts de l’institution onusienne. Il est intéressant de noter qu’au cours du processus de création de l’OMS, il avait été convenu que les nombreux territoires, encore sous contrôle colonial et n’ayant pas acquis leur indépendance, seraient admis par l’agence dans une catégorie différente de celles des membres associés [15].

En outre, il fut décidé d’introduire le mot « mondial » dans le nom du nouvel organisme pour se démarquer de l’expression « Nations unies » afin de ne pas donner à penser que sa portée se limiterait aux États membres des Nations unies. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fut créée officiellement en avril 1948.

En mars 1993, j’ai eu l’honneur de visiter le lieu historique où se déroula la Conférence de San Francisco et d’y prononcer un discours. À cette occasion, j’ai rappelé que la SGI s’inspire des convictions de mon maître, Josei Toda (1900-1958), le deuxième président de la Soka Gakkai, pour mener des actions en soutien aux Nations unies.

La finalisation du texte de la Charte des Nations unies coïncida avec la libération de M. Toda après deux années de prison aux mains des autorités militaristes japonaises. C’est alors qu’il entreprit de reconstruire la Soka Gakkai, en tant que mouvement populaire d’un genre nouveau, prônant l’humanisme. Les idéaux de mon maître présentaient de nombreux points communs avec ceux de la Charte des Nations unies, en ce sens qu’ils découlaient de son désir fervent d’opérer une transformation fondamentale dans l’histoire humaine, brisant ainsi le cycle apparemment sans fin de la violence et de la guerre. La Soka Gakkai a hérité de cet esprit et continue à développer un réseau mondial de personnes ordinaires éveillées à la philosophie de la paix et du respect de la dignité de la vie.

J’ai conclu mon intervention à San Francisco en déclarant que M. Toda nous avait confié la tâche de soutenir les Nations unies qui était l’institution cristallisant la plus grande sagesse au XXe siècle. Elle devait de ce fait être protégée et développée pour devenir la citadelle de l’espoir au siècle suivant. S’appuyant sur les leçons tirées de son expérience de la guerre, M. Toda souhaitait sincèrement changer la direction prise non seulement par son pays mais aussi par le monde entier. Il exposa ses conceptions il y a soixante-dix ans, en février 1952. À l’époque, il résuma son idéal dans l’expression « chikyu minzokushugi », qui correspond à ce que nous pourrions appeler aujourd’hui la « citoyenneté mondiale [16] ».

À une époque où le début de la guerre de Corée et d’autres conflits exacerbaient les tensions mondiales, M. Toda transmit largement sa vision des choses afin de permettre à l’humanité de se libérer des cycles tragiques de l’Histoire. Il s’efforça de partager sa détermination selon laquelle aucun peuple d’aucune nation ne devait souffrir, et fit le vœu que tous les peuples du monde mènent ensemble une vie heureuse et prospère.

Actuellement, au cœur de cette pandémie qui se prolonge, lorsque je me penche sur l’histoire de la création de l’OMS, je suis frappé de constater à quel point l’idée de citoyenneté mondiale de M. Toda coïncide avec l’esprit fondateur de l’agence onusienne, comme l’illustre le choix d’inscrire le mot « mondial » dans sa dénomination.

L’importance de la solidarité dans le monde actuel fut proclamée sans équivoque dans la Déclaration politique pour un accès mondial équitable aux vaccins contre la Covid-19, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies l’année dernière et approuvée par 181 États membres :

« Nous nous engageons à faire preuve de solidarité et à intensifier la coopération internationale, en accordant une attention égale aux besoins de tous les êtres humains, en particulier des personnes en situation de vulnérabilité, d’être protégés de la maladie du coronavirus, quels que soient leur nationalité ou leur lieu de résidence et sans aucune forme de discrimination [17]. »

Les mesures pour répondre à la pandémie doivent privilégier les actions communes des gouvernements afin de surmonter la menace qu’elle représente, et non les moyens pour chaque État d’échapper individuellement à cette crise.

Dans ma Proposition pour la paix de l’année dernière, j’ai indiqué que lorsque l’attention est tournée vers des données négatives comme l’augmentation du nombre d’infections, la perspective étroite de défendre seulement son propre pays peut prendre le pas sur la solidarité avec les autres. Il me semble important, au contraire, de conserver une vision positive en mettant en avant le nombre de vies que nous pouvons sauver en agissant ensemble ; si tous les pays maintiennent ce cap, ils ouvriront la voie vers la résolution des problèmes.

On peut lire dans les écrits bouddhiques :

« Lorsque, la nuit, nous allumons une lanterne pour une autre personne, nous éclairons non seulement cette personne mais aussi nous-même. De la même manière, lorsque le visage des autres s’anime [grâce à nos encouragements], notre vie s’anime, elle aussi, quand nous les soutenons pour qu’ils se renforcent, nous nous renforçons nous-mêmes, et quand nous les aidons à prolonger leur vie, nous prolongeons également la nôtre [18]. »

C’est ce type de cercle vertueux généré par des personnes qui se préoccupent de leur bien-être et de celui des autres, en parallèle avec le développement de la coopération et de l’assistance entre un plus grand nombre de pays qui aideront à chasser la morosité grandissante. Telle est la voie qui permettra d’établir une conscience solidaire à l’échelle mondiale. Nous avons précisément besoin de ce dont il est question dans la Déclaration politique des Nations unies citée précédemment : « accorder une attention égale aux besoins de tous les êtres humains […] quels que soient leur nationalité ou leur lieu de résidence et sans aucune forme de discrimination. »

On peut lire également dans les textes bouddhiques que, lorsqu’il s’agit de sauver une vie, il convient de ne faire aucune distinction entre les personnes. Cet esprit est illustré dans les récits témoignant du dévouement d’un médecin appelé Jivaka, qui vivait dans le royaume du Magadha dans l’Inde ancienne, au temps de Shakyamuni.

Ayant entendu parler d’un excellent médecin du royaume de Taxila, le jeune Jivaka se rendit auprès de lui pour se former et étudier en profondeur l’art de la médecine. De retour chez lui, il mit ses compétences à profit pour sauver de nombreuses vies. Après avoir guéri son souverain d’une maladie, Jivaka gagna tant son estime que ce dernier lui ordonna de ne plus se déplacer pour soigner les autres mais de rester à ses côtés et de ne dispenser ses soins qu’aux quelques personnes de son entourage. Malgré cela, lorsqu’il apprenait qu’une personne était malade en dehors du palais, Jivaka demandait la permission au roi de se rendre auprès d’elle pour la soigner. Il lui arriva même de se précipiter au chevet d’un enfant qui vivait dans le royaume de Kaushambi pour l’opérer. Et lorsqu’un autre souverain, qu’il avait guéri de ses maux de tête, le supplia de rester à ses côtés contre une importante somme d’argent, Jivaka déclina son offre. Il soigna ainsi d’innombrables personnes, gagnant le profond respect de tous [19].

Après avoir étudié la médecine dans le royaume de Taxila, Jivaka consacra donc toute sa vie à soigner les malades, quels que soient le village, la ville ou le royaume où ils résidaient, et sans jamais limiter ses services à quelques privilégiés. En sanskrit, Jivaka signifie « vie » et, fidèle à son nom, ce médecin sauva en effet des vies sans discrimination ni considération sur l’origine ou le lieu de résidence. Nichiren (1222-1282), qui clarifia les enseignements bouddhiques et propagea sa doctrine au XIIIe siècle au Japon, a laissé des écrits qui servent aujourd’hui de référence pour les membres de la SGI. Dans l’un d’eux, il fait l’éloge de Jivaka, qu’il qualifie de trésor de son époque [20].

Nous éprouvons tous une reconnaissance infinie envers les innombrables professionnels de santé, qui travaillent, jour après jour, avec un dévouement indéfectible, au cœur de la pandémie actuelle. Tout en soutenant sincèrement ces véritables trésors de notre époque, il convient de renforcer la coopération mondiale dans le domaine de la sécurité sanitaire, afin d’apporter une protection égale à chacun, sans considération pour la nationalité ou le lieu de résidence, et sans aucune forme de discrimination.

Dans ma Proposition pour la paix de l’an dernier, j’ai appelé à l’adoption de directives internationales, qui pourraient non seulement servir de base à une réponse coordonnée contre la Covid-19 mais seraient également parfaitement adaptées face aux futures épidémies.

Le mois dernier, lors d’une session spéciale de l’Assemblée mondiale de la santé, une résolution adoptée à l’unanimité a prévu la création d’un organe intergouvernemental ouvert à tous les États membres et membres associés, chargé de rédiger et de négocier une convention pour faire face aux futures pandémies [21]. S’appuyant sur les leçons tirées de la pandémie de la Covid-19, l’Assemblée a décidé de travailler d’abord sur les termes d’une convention ou d’un traité portant sur des mesures telles que l’accès équitable aux vaccins et le partage des informations. La première réunion de cet organe spécialisé aura lieu d’ici le 1er mars 2022.

De nombreux experts ont déclaré qu’il ne s’agit pas de savoir si une autre pandémie aura lieu, mais quand elle aura lieu. Dans cette perspective, je recommande vivement la rédaction rapide d’une réglementation internationale, suivie de mesures visant à garantir son adoption et sa mise en œuvre.

La pandémie de la Covid-19 a révélé au grand jour comment une menace qui s’intensifie dans une partie du monde peut devenir, en peu de temps, une menace pour toute la planète. Telle est la réalité du monde dans lequel nous vivons. Dans leur programme commun d’action mondiale, les dirigeants présents au sommet du G7 qui a eu lieu au Royaume-Uni, en juin dernier, ont rappelé qu’aucune menace sur la santé humaine ne s’arrête aux frontières sur notre planète interconnectée. Ils ont également convenu qu’un de leurs rôles et responsabilités spécifiques consiste à « réagir plus rapidement en élaborant des protocoles mondiaux permettant de déclencher une action collective en cas d’éventuelle pandémie [22] ». Sur la base de leur programme commun, les pays du G7 devraient maintenant prendre l’initiative de lancer une convention en vue d’établir des protocoles internationaux permettant de répondre aux futures pandémies, et de développer le cadre d’une coopération internationale, qui pourra s’appuyer sur cette convention.

Dans le passé, j’ai suggéré l’élargissement du G7 à la Russie, à l’Inde et à la Chine afin de créer un « sommet d’États responsables ». Je ne fais pas ici référence aux devoirs de ces pays en tant que puissances mondiales, mais plutôt à leur engagement à répondre de manière solidaire aux préoccupations et aux aspirations des peuples du monde, qui cherchent à surmonter les crises communes auxquelles l’humanité est confrontée.

Si, face à ces crises, on se contente de « gérer les risques », les gouvernements adopteront une vision étroite et leurs préoccupations se limiteront aux effets qu’ils subissent directement. Or, ce dont le monde a le plus besoin, c’est d’une coopération plus étroite des gouvernements afin de forger le type de résilience qui nous permettra de nous unir pour surmonter les graves défis auxquels nous sommes tous confrontés.

En outre, cet esprit de solidarité offrira l’énergie motrice et les principes fondamentaux pour répondre à l’ensemble de nos défis, notamment la crise climatique. Je suis persuadé qu’en ancrant nos actions dans cet esprit de solidarité et en progressant vers l’établissement d’une société mondiale capable de résister à toutes les menaces, nous léguerons aux générations futures de nobles et puissantes valeurs.

Une économie porteuse d’espoir et de dignité

Le troisième défi consiste à bâtir une économie qui insuffle de l’espoir aux jeunes et permet aux femmes d’affirmer toute leur dignité.

On estime que l’équivalent de 255 millions d’emplois à temps plein ont été perdus en raison de la pandémie de la Covid-19 et de ses effets dévastateurs sur l’économie mondiale [23]. Une question particulièrement préoccupante est la gravité de l’impact sur les jeunes. Selon les dernières estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), l’emploi des jeunes dans le monde a diminué plus rapidement que celui des personnes âgées de vingt-cinq ans et plus [24], et l’emploi des jeunes dans les pays du G20 a même chuté de 11 pour cent [25].

Les tendances récentes suggèrent par ailleurs que les jeunes qui ont trouvé un emploi pendant la crise ont plus de risques de connaître un stress et une anxiété liés à cet emploi en raison des changements rapides de conditions de travail dus à la Covid-19. Ainsi, un nombre croissant de jeunes ont été engagés en télétravail ou dans un autre cadre différent du modèle classique, et doivent accomplir leurs tâches sans avoir personne auprès d’eux pour les aider. La pandémie a entraîné des difficultés financières pour de nombreux ménages, et les jeunes notamment sont souvent accablés de dettes à la suite d’un emprunt étudiant ou ne peuvent pas accéder à des postes qui leur permettraient de développer des compétences en rapport avec leurs ambitions professionnelles. Des études montrent aussi que les perspectives de carrière semblent de plus en plus sombres pour les étudiants, 40 pour cent d’entre eux exprimant une incertitude sur ce que leur réserve l’avenir et 14 pour cent nourrissant une véritable crainte [26].

Certes, nous nous attendons à une rapide reprise de l’économie, mais si nous n’apaisons pas le sentiment de crainte et d’incertitude ressenti par tant de jeunes et ne ravivons pas la flamme de l’espoir dans leur cœur, non seulement les perspectives économiques mais également tous les espoirs d’un développement social sain s’affaibliront.

Pour approfondir cette question, j’aimerais faire part des observations des Prs Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo du Massachusetts Institute of Technology, dont les travaux furent récompensés par le prix Nobel d’économie en 2019, qu’ils partagèrent alors avec le Pr Michael Kremer de l’université Harvard.

Dans leur livre intitulé Économie utile pour des temps difficiles, ils se penchent sur la véritable signification des indices économiques comme le produit intérieur brut (PIB) : « La clé, en dernière analyse, est de ne pas oublier que le PIB est un moyen, jamais une fin [27]. »

En soulignant le fait que se concentrer uniquement sur le revenu crée une vision faussée qui a souvent conduit à des décisions politiques erronées, ils affirment : « Mettre la dignité humaine à la place qui est la sienne, c’est-à-dire au centre, suppose une redéfinition radicale des priorités économiques et des dispositifs choisis par nos sociétés pour protéger leurs membres, notamment quand ils se trouvent dans le besoin [28]. » Cet ouvrage a été publié un an avant la pandémie, mais je crois que la question de la construction d’une économie qui défende la dignité humaine est plus pertinente que jamais.

On ne saurait trop souligner l’importance d’avoir un emploi et il convient d’examiner ici les priorités économiques avec un regard juste et clair, c’est-à-dire en considérant qu’elles ont pour but de renforcer la dignité humaine, comme l’affirment avec force les Prs Banerjee et Duflo.

Le livre relate notamment comment M. Banerjee, alors qu’il travaillait dans un groupe de personnalités éminentes des Nations unies, a rencontré un membre d’une ONG internationale et s’est inspiré de ses activités. Le Pr Duflo et lui ont ensuite assisté à l’une des réunions de cette organisation proposant des opportunités d’emploi à celles et ceux qui ont connu la pauvreté. Parmi les personnes présentes, il y avait une infirmière qui s’était retrouvée gravement handicapée à la suite d’un accident et incapable de travailler pendant plusieurs années ; et un homme qui avait perdu la garde de son fils parce qu’il souffrait d’un déficit de l’attention (TDAH) [29].

À travers ses actions, cette ONG offrit aux professeurs de nouvelles pistes sur la façon d’aborder les politiques sociales. L’une d’elles était que « le travail n’est pas nécessairement ce qui vient une fois que tous les autres problèmes ont été résolus et que les gens sont “prêts” : il fait partie du processus de réinsertion lui-même [30]. » Les auteurs rapportent de quelle manière le père qu’ils avaient rencontré avait réussi à récupérer la garde de son fils après avoir trouvé un emploi et combien il se sentait encouragé par le regard plein de fierté que son fils portait sur lui depuis qu’il travaillait. Son changement de situation se répercuta en ondes de bonheur qui se transmirent à toute sa famille. Un des ODD est la promotion d’un travail décent pour tous, notamment les personnes en situation de handicap, et l’exemple de cette famille illustre précisément le type de changement porteur d’espoir que les ODD ont pour mission d’encourager.

Dans ma Proposition pour la paix de 2012, émise à une période où le professeur Pr Banerjee faisait partie du groupe des personnalités éminentes des Nations unies, j’ai rappelé que les efforts déployés dans le cadre des ODD devaient viser non seulement à atteindre les objectifs fixés mais également à redonner le sourire à celles et ceux qui souffraient le plus. C’est une priorité que nous ne devons pas perdre de vue tout en nous efforçant de relancer l’économie après la pandémie.

Convaincus qu’il convient de changer notre regard sur les personnes qui se sentent laissées pour compte et oubliées par la société, les Prs Banerjee et Duflo affirment :

« Ils ont sans doute des problèmes, mais ils ne sont pas le problème. Ils ont le droit d’être considérés pour ce qu’ils sont et non d’être définis pas les difficultés qui les accablent. Combien de fois n’avons-nous pas constaté, lors de nos séjours dans plusieurs pays en développement, que l’espoir est le moteur qui permet aux êtres humains d’aller de l’avant [31] ? »

Je suis entièrement d’accord. Lorsque les êtres humains ont accès au type de travail ou au milieu professionnel qui leur permettent de manifester pleinement le potentiel unique qui est le leur, nos sociétés peuvent manifester toute leur dignité et briller de tout leur éclat.

L’OIT doit organiser cette année un forum multilatéral ayant pour thème « l’être humain au cœur de la reprise économique ». J’aimerais que cet événement soit une sorte de plateforme où les pays pourront partager leurs meilleures pratiques et les leçons qu’ils ont tirées de la pandémie de la Covid-19, en donnant la priorité aux actions visant à assurer un travail décent et humain pour tous et en accordant une attention particulière à l’amélioration des conditions d’emploi des jeunes.

Le travail de reconstruction économique doit, de façon similaire, s’inscrire dans une dynamique de promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes.

La pandémie a fait peser une charge sans précédent sur les systèmes de santé ; au niveau mondial, 70 pour cent des personnes employées dans ce secteur sont des femmes [32]. Cette crise a aussi contraint beaucoup de femmes à mettre leur carrière entre parenthèses ou à contracter des arrêts de travail pour pouvoir s’occuper de membres de leur famille malades ou de leurs proches. En outre, une grande partie des personnes qui ont perdu leur emploi sont des femmes, les mères avec des jeunes enfants étant les plus touchées.

L’inégalité entre les hommes et les femmes est depuis longtemps une question d’une importance cruciale. La pandémie a exacerbé cette inégalité et intensifié les appels à une réforme de fond. À cet égard, le Forum Génération Égalité [33] organisé à deux reprises l’an dernier par ONU Femmes et d’autres organismes a constitué une initiative importante.

La réunion qui s’est tenue au Mexique en mars dernier a rassemblé quelque dix mille personnes originaires de quatre-vingt-cinq pays, participations en ligne comprises, qui ont débattu sur la meilleure façon d’accélérer les initiatives et les mouvements en faveur de l’égalité des genres [34]. Lors du forum qui s’est tenu ensuite en France, en juin et juillet, a été annoncé le lancement d’un plan quinquennal mondial d’accélération vers l’égalité des genres.

En plus des cinq domaines nécessitant une intervention urgente, tels que la violence liée au genre et les technologies et l’innovation au service de l’égalité entre les femmes et les hommes, le plan fait aussi de la justice et des droits économiques une priorité. Il prend acte de problématiques telles que la disparité des salaires entre les femmes et les hommes, et propose des réformes économiques tenant compte du genre pour réduire le nombre de femmes vivant dans la pauvreté. Il met également l’accent sur l’amélioration des conditions de travail pour les femmes exerçant dans l’économie de la santé et du soin.

Dans beaucoup de pays, le travail des soignants, notamment l’accompagnement des personnes âgées ou l’aide apportée à d’autres membres de la famille, n’est souvent pas rémunéré et est principalement effectué par des femmes. Dans le contexte actuel où l’on a de plus en plus conscience que les soignants portent le poids de la pandémie, le Plan mondial d’accélération pour l’égalité des genres exhorte les pays à adopter des réformes radicales, comme l’investissement de 3 à 10 pour cent de leur revenu national dans le développement d’opportunités nouvelles, et l’amélioration des conditions de travail dans le secteur des soins rémunérés [35].

Ce point a été également souligné dans le Plan pour les femmes publié par ONU Femmes, en septembre dernier, qui demande que la santé et le soin soient placés au cœur d’une économie durable et socialement juste [36]. Des études montrent qu’aujourd’hui un grand nombre de personnes dans le monde ont besoin dans leur vie quotidienne de soins, sous une forme ou une autre. Cela concerne notamment le 1,9 milliard d’enfants de moins de quinze ans [37], le milliard de personnes âgées de plus de soixante ans [38] et les 1,2 milliard de personnes avec un handicap [39]. L’investissement public dans les métiers sanitaires et sociaux va non seulement réduire la charge qui pèse sur les femmes, mais aura également des répercussions considérables sur l’amélioration de la vie de beaucoup d’autres groupes démographiques, notamment les enfants, les personnes âgées et les personnes avec un handicap.

N’oublions pas non plus la contribution essentielle des métiers du soin au bonheur et à la dignité de ceux qui en bénéficient. La marée montante de la croissance économique ne doit pas laisser de côté ceux qui ont contribué à ce nouvel essor. En fait, je suis convaincu qu’en valorisant les métiers du soin, nous contribuerons aussi directement à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, et que cela favorisera l’édification de sociétés qui contribuent au bien-être, au bonheur et à la dignité d’innombrables personnes.

En s’appuyant sur la philosophie bouddhique, qui accorde la plus grande importance au bonheur et à la dignité de tous, la SGI œuvre résolument à la promotion de l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes.

En janvier 2020, lorsque ONU Femmes a lancé la campagne Génération Égalité, la SGI et d’autres organisations religieuses ont tenu, en collaboration avec plusieurs agences de l’ONU, leur symposium annuel à New York. Elles y ont mené une réflexion sur les moyens permettant aux communautés religieuses de contribuer plus efficacement à la progression de l’égalité des sexes. En janvier 2021, lors de ce même symposium, les participants ont souligné que la suppression des inégalités entre les genres, notamment par des mesures de politique économique, sera essentielle pour la reconstruction et le rétablissement après la Covid-19.

La SGI soutient actuellement les efforts visant à renforcer l’autonomie des femmes dans les communautés pauvres du Togo grâce au reboisement. Le projet, lancé en janvier dernier en coopération avec l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), aide au reboisement et à la protection des ressources forestières aux endroits où la forêt a disparu rapidement, tout en permettant aux femmes d’assurer leur subsistance et leur indépendance financière. Une deuxième phase est en préparation. Les participantes au programme visiteront d’autres communautés et s’engageront dans des activités d’apprentissage mutuel fondées sur des échanges d’expériences et de bonnes pratiques face à des défis communs [40].

Même dans une période critique ou quand leurs conditions de vie sont mauvaises, les êtres humains possèdent cette capacité intrinsèque à travailler ensemble pour créer des valeurs positives et générer des vagues de changement qui pourront transformer l’époque. Je suis profondément convaincu que l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes sont les clés pour surmonter la crise de la Covid-19 et construire une économie et une société qui soutiennent la dignité humaine.

La Charte de la SGI a été adoptée en novembre 1995, l’année où la 4e Conférence mondiale sur les femmes à Pékin marquait le point de départ des efforts visant à faire de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes les courants déterminants de notre époque. Nous avons continué à œuvrer à la résolution de problèmes mondiaux en nous fondant sur les objectifs et les principes de la Charte de la SGI, notamment concernant l’engagement à « veiller au respect des droits humains fondamentaux, et à ne pas créer de discrimination entre les êtres humains, quelle que soit leur origine ».

En novembre dernier, nous avons adopté une version actualisée de la Charte de la Soka Gakkai. Ses objectifs et ses principes s’articulent autour de dix points, parmi lesquels le fait qu’en nous « fondant sur l’esprit bouddhique de tolérance, nous nous engageons à respecter les autres traditions religieuses et philosophiques, et à dialoguer et à œuvrer de concert avec elles à la résolution des problèmes fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée ». Par ailleurs, elle exprime également notre engagement à « contribuer à la réalisation de l’égalité des genres et à favoriser l’autonomisation des femmes [41] ».

En tant que membres d’un mouvement bouddhiste laïc présent dans 192 pays et territoires et en tant que citoyens engagés dans nos sociétés respectives, nous sommes déterminés à continuer à élargir le cercle de la confiance et de l’amitié afin de construire un monde où chacun pourra mener une vie heureuse et digne.

Des actions centrées sur les Nations unies pour résoudre la crise climatique

Ensuite, je souhaiterais exposer des propositions concrètes concernant trois domaines clés nécessitant une résolution rapide pour le bien des générations actuelle et futures.

La première est le changement climatique. En dépit des innombrables avertissements lancés au cours des ans, l’accélération du changement climatique se poursuit. D’année en année, les dommages causés par des événements dus à des températures extrêmes se sont intensifiés et étendus. La sécheresse et les incendies sont devenus fréquents dans de nombreuses parties du monde. Ces phénomènes, corrélés à l’élévation de la température et à l’acidification, ont engendré une détérioration de la capacité des systèmes terrestres et océaniques à absorber les gaz à effet de serre [42].

Face à cette situation urgente, la 26e Conférence sur le changement climatique (COP26) s’est tenue à Glasgow en octobre et novembre derniers. Cette conférence a été prolongée d’une journée, en raison des différentes prises de position politiques rendant un consensus difficile, mais les parties ont pu finalement adopter une résolution sur la nécessité de coopérer pour limiter la hausse de la température moyenne globale à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels. Cet objectif constitue une avance significative par rapport à l’Accord de Paris adopté en 2015, qui prévoyait une limitation de la hausse de la température globale à moins de 2 degrés Celsius. L’atteinte de ce nouvel objectif constituera néanmoins un défi. Selon les experts, il ne suffira pas que chaque pays réduise ses émissions de gaz à effet de serre dans la limite de ses promesses. D’autres mesures, plus rigoureuses, seront nécessaires.

À la fin de la COP26, son président, Alok Sharma, a lancé cette mise en garde : « Nous avons maintenu cet objectif d’1,5 degré [...] mais je persiste à dire que les chances d’y arriver restent faibles. » Il a aussi déclaré que les parties étaient parvenues à un accord historique et que le succès de leurs actions ne dépendait pas de leur signature, « mais de leur volonté de prendre leurs responsabilités et de les mettre en œuvre ».

Alors que la situation demeure critique, l’espoir subsiste néanmoins de trouver des solutions pour surmonter cette crise. Selon un rapport du World Resources Institute [43], si chacun des pays du G20, responsables de 75 pour cent des émissions de gaz à effet de serre, parvient à une réduction ambitieuse de ces émissions, conformément aux objectifs fixés pour 2030, et s’ils parviennent à l’objectif zéro en 2050, l’augmentation de la température de la planète pourrait être limitée à 1,7 degré, soit juste au-dessous de l’objectif de 2 degrés fixé par l’Accord de Paris.

Durant la COP26, les États-Unis et la Chine se sont mis d’accord pour intensifier les mesures, et œuvrer ensemble à la régulation du climat. Je demande instamment au Japon et à la Chine de parvenir à un accord similaire, en développant ensemble des scénarios proactifs pour résoudre cette crise.

Dans leur déclaration commune visant à intensifier leurs actions de coopération pour le climat, les États-Unis et la Chine ont fait part de leur intention de collaborer dans des domaines tels que la réduction des émissions de méthane, qui contribuent significativement à la hausse des températures, ainsi qu’à la promotion des énergies renouvelables et à la prévention de la déforestation illégale.

Ces dernières années, les relations américano-chinoises ont souvent été tendues. C’est pourquoi il est hautement significatif que ces deux nations – responsables de plus de 40 pour cent de la totalité des émissions de gaz à effet de serre – se soient engagées à collaborer pour résoudre cette crise qui touche toute l’humanité. De la même manière, le Japon et la Chine devraient rapidement mettre en œuvre un accord visant à renforcer leur coopération face au changement climatique.

Cette année marque le 50e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine. Je pense que le moment est venu pour que ces deux pays s’engagent ensemble à agir contre le changement climatique, et approfondissent leur solidarité pour l’avènement d’une société globale durable, suscitant ainsi un nouveau départ vers cinquante nouvelles années de relations bilatérales.

Le Japon et la Chine ont une longue histoire de collaboration qui a fait ses preuves dans le domaine de l’environnement. Cette histoire a débuté en 1981, lors de la signature de l’accord pour la protection des oiseaux migrateurs et de leur habitat. En 1994, l’Accord de coopération sino-japonais pour la préservation de l’environnement a été signé, et le Centre de l’amitié sino-japonaise pour la protection de l’environnement a été fondé à Pékin. Depuis plusieurs années, les deux nations ont continué à coopérer, réalisant ainsi des avancées considérables dans la résolution de divers problèmes tels que la pollution de l’air, la préservation des forêts, la déforestation, et la gestion de l’énergie et du gaspillage.

En 2006, dix ans après l’établissement du Centre de l’amitié sino-japonaise pour la protection de l’environnement, j’ai été nommé professeur honoraire de l’Université normale de Pékin. Dans mon discours d’investiture, j’ai retracé l’histoire des efforts de collaboration pour la protection de l’environnement :

« Nous devons intensifier le rythme de ces précieux efforts. Dans ce but, je demande la concrétisation rapide d’un partenariat environnemental exhaustif et efficace entre le Japon et la Chine, avec pour horizon les cent années à venir [...]

« Si le Japon et la Chine s’unissent avec leur précieux voisin, la Corée du Sud, et si ces trois pays s’investissent davantage encore dans la recherche pour l’environnement, la coopération technique, les échanges personnels et l’envoi d’experts sur le terrain, j’ai la certitude que ces efforts produiront un effet qui se répandra dans toute l’Asie, et même dans le monde entier. »

Les objectifs de coopération entre le Japon et la Chine ont été largement atteints. Avec le Centre de l’amitié sino-japonaise pour la protection de l’environnement comme base de leurs efforts communs, ces deux pays ont collaboré à des projets avec les États-Unis, la Russie, les États membres de l’Union européenne, et ils ont élaboré des programmes de formation pour les personnes ayant un pouvoir de décision sur les questions environnementales de plus de cent pays en développement.

Je souhaite que le Japon et la Chine poursuivent leurs efforts constructifs à partir de l’héritage qu’ils ont créé, et intensifient leurs actions communes pour résoudre la crise climatique, tout en renforçant encore le réseau de coopération avec la Corée du Sud et les pays asiatiques. J’ai la ferme conviction qu’une telle collaboration suscitera des actions déterminées, générant des vagues d’espoir et de changement dans le monde entier.

Outre ces propositions concernant la coopération entre États, j’aimerais appeler aussi à un renforcement des cadres de partenariat entre les Nations unies et la société civile.

Les ressources qui nous sont à tous nécessaires pour survivre et prospérer sont globalement connues sous le nom de « patrimoine mondial ». Ce terme inclut le climat et la biodiversité. J’aimerais proposer la création d’une structure, au sein des Nations unies, où la société civile, guidée par la jeunesse, pourra discuter librement d’une vaste protection du patrimoine mondial.

Cette année, cela fait trente ans que la Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de Sommet de la Terre, s’est tenue à Rio de Janeiro. Ce sommet a représenté une étape déterminante vers la signature du cadre de la Convention des Nations unies sur le changement climatique (UN Framework Convention on Climate Change, UNFCCC) et de la Convention pour la diversité biologique. Il a aussi donné l’impulsion pour l’adoption de la Convention pour la lutte contre la désertification.

En 2001, un groupe de liaison commun a été mis en place afin d’améliorer la coopération dans la mise en œuvre des trois conventions, en facilitant le partage d’informations et la coordination des activités. Je crois qu’il est temps d’étendre cette alliance en y incluant le soutien de la société civile. J’ai la conviction que cela permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la lutte contre le changement climatique. Le changement climatique, la disparition de la biodiversité et la désertification sont étroitement imbriqués, et les solutions à ces problèmes sont elles aussi interconnectées. Des approches créatives peuvent inspirer un nouveau dynamisme propre à créer une brèche dans ce qui peut apparaître comme des défis insurmontables.

Le patrimoine mondial inclut la haute mer et les pôles Nord et Sud, qui ne relèvent pas de la souveraineté d’une seule nation, à l’instar de l’atmosphère et des écosystèmes globaux, ainsi que des ressources essentielles pour la survie et la prospérité de l’humanité. Leur protection pour les générations présente et futures doit être un sujet hautement prioritaire.

L’année dernière, les Nations unies ont lancé la Décennie pour la restauration de l’écosystème. Je pense que cela constitue une opportunité propre à favoriser la coordination des efforts, tant par rapport aux trois conventions citées plus haut que dans des domaines autres. Cela suscitera des réactions en chaîne positives aptes à donner un coup d’accélérateur à la résolution des problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

En mars, une session spéciale de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement se tiendra à Nairobi afin de célébrer le 5e anniversaire de la création du Programme des Nations unies pour l’environnement. À l’occasion de cette session spéciale, je prône l’adoption d’une déclaration qui permettra de définir les étapes permettant d’approfondir une approche globale des questions environnementales, dans la perspective de sauvegarder notre patrimoine mondial.

J’aimerais aussi que des débats soutenus soient menés au sein des Nations unies sur les questions liées au patrimoine mondial. Dans ma Proposition pour la paix de l’année dernière, j’ai évoqué l’importance cruciale de la création d’un conseil de la jeunesse des Nations unies, dont le rôle serait de communiquer aux dirigeants onusiens des idées et des propositions élaborées par les jeunes. Un Conseil de la jeunesse serait une structure idéale pour le type de débats sur le patrimoine mondial que j’appelle de mes vœux.

Au mois de septembre dernier s’est tenu à Milan le sommet « Youth4Climate: Driving Ambition », dans le cadre de la Pré-COP26. Faisant suite au Sommet de la jeunesse pour le climat de 2019, ce rassemblement a offert une tribune aux délégués de la jeunesse afin qu’ils puissent transmettre leurs préoccupations aux acteurs engagés dans les négociations intergouvernementales.

Ce sommet illustre parfaitement ma proposition concernant la création d’un conseil de la jeunesse des Nations unies. Quelque quatre cents jeunes venus de 186 pays – soit la quasi-totalité des pays signataires de l’Accord de Paris –, dont un jeune représentant de la Soka Gakkai du Japon, ont participé à ce sommet de Milan, et dans sa déclaration finale, le mouvement Youth4Climate s’est exprimé en faveur d’une participation significative de la jeunesse, appelant les Nations unies à :

« Constituer une entité au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour renforcer la participation de la jeunesse en lui assurant une structure permanente, afin de permettre aux jeunes délégués de débattre entre eux et de participer aux discussions formelles et périodiques avec les représentants des parties de la CCNUCC.

« Consolider les interventions des jeunes délégués pendant les sessions, notamment en s’assurant qu’elles soient programmées au début et au milieu des séances plénières, plutôt qu’à la fin [44]. »

Les jeunes du monde entier réclament un plus grand rôle dans les efforts entrepris au niveau mondial pour faire face à la crise climatique, une question qui compromet directement leur vie et leur avenir. Ils travaillent activement à l’élaboration d’un cadre au sein duquel ils pourront systématiquement participer aux débats et aux processus de prise de décision.

À l’image du sommet de Milan, le conseil de la jeunesse des Nations unies, dont je propose la création, serait ouvert à tous les pays. Des sessions et des réunions régulières pourraient se tenir en visioconférence, avec des sessions plénières en présentiel pour toutes les décisions importantes, dans différents lieux, et sur une base semestrielle, par exemple. Le résultat de chaque session plénière serait ensuite communiqué aux Nations unies afin d’y être intégré aux processus de décision.

Lors de la création des Nations unies, plusieurs villes à travers le monde se portèrent candidates pour en accueillir le siège. Mais, choisir une ville en particulier, pour mettre en place cette organisation internationale, s’avéra être extrêmement complexe. La possibilité d’établir le siège à bord d’un navire qui parcourrait continuellement le monde fut même évoquée. Finalement, la première session de l’Assemblée générale des Nations unies se tint à Londres, et la troisième à Paris. D’autres sessions eurent lieu dans d’autres villes, avant que le siège permanent à New York ne soit finalement achevé. Même à l’époque, l’idée d’installer le siège des Nations unies sur un navire qui sillonnerait les océans a dû paraître très surprenante, mais les eaux internationales, sur lesquelles aucun État ne peut exercer d’acte de souveraineté, sont justement un symbole du patrimoine mondial, et cette idée reflétait en fait la conception des Nations unies comme d’un parlement de l’humanité.

Cette histoire semble appuyer l’idée d’un roulement des sessions plénières au sein de plusieurs pays plutôt que de les ancrer au siège de l’ONU à New York. Les lieux devraient être en priorité choisis dans des secteurs accessibles aux représentants de la société civile issus des zones géographiques les plus touchées par les dégâts et les dégradations de l’environnement liés au changement climatique.

À cet égard, l’Institut Toda pour la paix, dont je suis le fondateur, a souvent décidé de tenir ses conférences dans des zones particulièrement concernées par le sujet traité. Cela reflète l’esprit qui sous-tend sa création : être à l’écoute de ceux qui souffrent et se tenir à leurs côtés. C’est sur la base de cet engagement que l’institut travaille aujourd’hui à l’élaboration d’un programme de recherche sur le changement climatique dans les collectivités insulaires du Pacifique, lesquelles subissent les effets dévastateurs de la montée des eaux [45]. Je suis convaincu que la création d’un conseil de la jeunesse des Nations unies, qui se réunirait dans ou à proximité des lieux les plus touchés et les plus concernés par les problématiques à l’ordre du jour, serait une avancée décisive pour permettre un renforcement des relations entre les Nations unies et la société civile.

J’aimerais souligner à cet égard une initiative importante prise par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, qui rédige actuellement une nouvelle « Observation générale n° 26 sur les droits de l’enfant et l’environnement en mettant particulièrement en avant l’action sur le changement climatique ». Après avoir déjà sollicité les avis et recommandations d’organisations non gouvernementales et de citoyens appartenant à toutes les classes d’âge, le comité commencera, à partir du mois prochain, à relever le point de vue d’enfants du monde entier. Il prévoit ensuite de mettre en place une équipe consultative d’enfants, afin de les impliquer dans le numéro 26 de la publication « Observation générale », ce qui constitue une opportunité inestimable pour faire entendre la voix des enfants dans les procédures internationales [46].

La SGI a toujours mis la jeunesse en avant dans ses activités consacrées aux questions environnementales. L’année dernière, elle a coorganisé l’exposition « Graines de l’espoir et action – Faire des ODD une réalité » avec la Charte de la Terre, à Glasgow, pendant la COP26. À l’occasion d’une conférence de presse, la SGI a fait la déclaration suivante :

« Prendre en considération la voix de la jeunesse n’est pas facultatif ; c’est l’unique voie de la sagesse qu’il convient de suivre si l’on est sincèrement préoccupé par l’avenir de notre civilisation [47]. »

Les êtres humains sont intrinsèquement dotés de la force nécessaire pour surmonter n’importe quel défi. Lorsque la jeunesse s’élance avec cohésion en étant convaincue qu’elle peut créer l’avenir, cette nouvelle prise de confiance et cet élan deviennent à coup sûr la force motrice vers un avenir meilleur.

Un environnement propice à l’éducation des enfants

Le deuxième domaine de réflexion qui mérite toute notre attention et nécessite des actions immédiates est l’éducation, et j’aimerais mettre en avant des propositions qui garantissent et améliorent les opportunités éducatives offertes aux enfants et aux adolescents.

Depuis le début de la pandémie de la Covid-19, le monde a porté en priorité son attention sur la santé publique et la reprise économique. Cependant, en parallèle, un autre problème grave est apparu, qui est l’impact de la pandémie sur les enfants et les jeunes dans le monde, sous la forme de ruptures dans l’offre éducative et de pertes d’opportunités d’apprentissage dues aux fermetures d’établissements scolaires. Une étude montre qu’un milliard six cent mille enfants en ont été victimes [48].

La perte d’heures d’enseignement n’est pas la seule conséquence des fermetures d’écoles. Du fait de l’interruption brutale de leurs interactions quotidiennes avec leurs amis, d’innombrables enfants ont du mal à ressentir qu’ils avancent dans la vie et à nourrir l’espoir d’un avenir meilleur, ce qui se traduit par une détresse psychologique et émotionnelle à mesure que la solitude et la démotivation envahissent leur cœur.

Les fermetures d’écoles entraînent aussi l’interruption de la distribution de repas scolaires, absolument vitale pour les enfants issus de familles et de milieux défavorisés. En raison de la fermeture prolongée des cantines scolaires, on redoute une augmentation du nombre d’enfants souffrant des effets de la malnutrition et de problèmes comme l’anémie et le déficit pondéral. C’est la première fois dans l’histoire des systèmes d’éducation contemporains, que tant d’enfants auront été privés d’école en même temps, si longtemps et à si grande échelle.

Bien que les gouvernements de nombreux pays aient pris des mesures pour favoriser l’accès à des ressources éducatives en ligne afin d’atténuer l’impact de toutes ces heures d’école perdues et d’offrir des opportunités aux élèves, il y a encore une quantité considérable de jeunes apprenants, bloqués du mauvais côté de la fracture numérique, pour qui l’apprentissage à distance reste inenvisageable.

Education Cannot Wait (L’éducation ne peut attendre), une fondation internationale, qui s’engage à fournir des réponses urgentes en matière d’éducation dans des régions touchées par des conflits, des catastrophes naturelles ou d’autres crises humanitaires, a mis en place un programme d’aide supplémentaire en réponse à l’urgence sanitaire constituée par la Covid-19. Cette aide comprend le financement de solutions permettant à 29,2 millions de filles et garçons de bénéficier de cours à distance [49]. Je ne soulignerai jamais assez l’importance de renforcer la coopération internationale dans ce domaine afin que tous les enfants puissent être scolarisés sans interruption.

Pour redonner rapidement les opportunités éducatives perdues au plus grand nombre d’enfants possible, il est important de s’inspirer des pays où l’éducation à distance a été prodiguée avec succès sans dépendre d’un accès à Internet.

Par exemple, après le début de l’épidémie de la Covid-19, le gouvernement de la Sierra Leone a institué un programme d’éducation interactif à la radio, permettant à 2,6 millions d’élèves de continuer à apprendre hors des murs de l’école [50]. Une réaction aussi rapide a été rendue possible par l’expérience acquise lors des vagues d’épidémies du virus Ebola au cours desquelles le gouvernement avait décidé de diffuser des cours radiophoniques. On a pu observer d’autres solutions innovantes au Soudan du Sud, qui a distribué des radios équipées de batteries solaires aux enfants de familles défavorisées [51], et au Soudan qui a fait publier les consignes des devoirs scolaires dans les journaux [52].

Ces solutions pleines de créativité et flexibles, qui accordent la priorité absolue à l’éducation des enfants, ont une grande signification. Elles démontrent l’importance de faire en sorte que tous les enfants, à toutes les époques et quelles que soient leurs conditions, puissent bénéficier de la lumière de la connaissance.

Le rôle crucial de l’éducation a été résumé par Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, sur la base de sa propre expérience de professeur donnant gratuitement des cours de mathématiques à des enfants de quartiers défavorisés au Portugal : « Dans les bidonvilles de Lisbonne, j’ai compris que l’éducation est un moteur pour éradiquer la pauvreté et un facteur de paix [53]. »

Le même esprit sous-tend le réseau d’écoles et d’universités Soka, que j’ai eu l’honneur de créer. Leur histoire trouve ses racines il y a presque un siècle dans les pratiques et expériences éducatives de Tsunesaburo Makiguchi et Josei Toda, qui devinrent ensuite les premier et deuxième présidents de la Soka Gakkai.

En sa qualité de directeur d’une école élémentaire de Tokyo accueillant les enfants de familles aux revenus modestes, M. Makiguchi travailla nuit et jour, sans ménager sa peine, pour fournir le meilleur environnement scolaire possible à ses élèves, tout en logeant lui-même dans l’école. Il institua notamment la gratuité des repas pour les élèves souffrant de malnutrition. Il prit aussi le temps de se rendre au domicile des enfants absents pour cause de maladie.

Après avoir visité cette école, composée d’un bâtiment aux vitres cassées et grossièrement rafistolées avec du carton pour protéger des intempéries, un observateur de l’époque écrivit le commentaire suivant : « Ce qui me frappa le plus fut l’enthousiasme et l’énergie avec lesquels Makiguchi se dévouait à faire absolument tout ce qui était en son pouvoir pour l’éducation et le bien-être de ces enfants venant de familles défavorisées [54]. »

Le successeur et disciple de Makiguchi, Josei Toda, enseignait dans la même école élémentaire et il soutint son maître dans ses efforts pour transmettre la lumière de la connaissance aux enfants de ce petit quartier de Tokyo, qui vivaient dans les conditions les plus éprouvantes pour l’époque.

Dans le même esprit que ces deux éducateurs, les écoles Soka, du primaire à l’université, n’ont cessé d’améliorer et d’étendre les aides financières afin de soutenir les élèves issus de familles en proie à de grandes difficultés matérielles.

L’université Soka de Tokyo n’a pas limité son soutien aux étudiants japonais ou internationaux. Après avoir rejoint en 2016 le Programme d’enseignement supérieur pour les réfugiés, parrainé par le Bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés (UNHCR), elle a aussi offert des bourses aux candidats ayant un statut de réfugié. Depuis 2017, elle participe également à l’Initiative japonaise pour l’avenir des réfugiés syriens (JSIR), lancée par l’Agence de coordination internationale japonaise. De plus, l’année dernière, elle a signé un accord avec l’UNHCR pour soutenir les étudiants de niveau master, faisant de l’université Soka, le premier établissement universitaire japonais à accepter des réfugiés dans tous ses programmes de licence et de master.

On estime que, sur la planète, seulement 5 pour cent des réfugiés ont réussi à trouver une place à l’université ou dans d’autres programmes d’enseignement supérieur [55]. Au regard de cette cruelle réalité, nous ne devons jamais oublier que ces jeunes gens déplacés de force nourrissent des aspirations à poursuivre leurs études et à atteindre leurs objectifs au moins aussi fortes que celles de leurs pairs évoluant dans des environnements moins éprouvants.

La Soka Gakkai soutient depuis longtemps les activités de l’UNHCR. En janvier de l’année dernière, nous avons aussi lancé un nouveau projet en collaboration avec l’association internationale Musiciens sans frontières [56]. Cette initiative conjointe, prise au milieu de la pandémie de la Covid-19, utilise la musique comme moyen pour transmettre l’espoir aux enfants réfugiés et aux enfants du pays d’accueil. Basé en Jordanie, ce projet vise à inspirer l’espoir et la force de surmonter les difficultés à travers l’éducation musicale. À ce jour, ce programme a permis de former des personnes capables à leur tour d’assurer cette éducation musicale, et ces stagiaires animent maintenant des ateliers de pratique musicale tout l’été, à divers endroits de la Jordanie.

Tarek Jundi, un musicien et acteur local du projet, a comparé ces activités à l’action de semer des graines, déclarant que même si le résultat n’est peut-être pas encore visible, des changements sont indéniablement en train d’apparaître. Moi aussi, je crois que l’essence de l’éducation, c’est de s’efforcer, avec patience et persévérance, de planter dans le cœur des enfants des graines dotées d’un grand potentiel, et d’œuvrer de toutes nos forces à leur plein épanouissement.

À cette nécessité d’offrir des opportunités éducatives en période de crise et d’urgence s’ajoute un autre défi majeur pour l’éducation dans le monde : accélérer la mise en place d’une éducation inclusive, qui garantisse le droit à l’éducation aux enfants et aux jeunes gens en situation de handicap.

Selon un rapport de l’Unicef publié en novembre dernier, le nombre d’enfants en situation de handicap est estimé à 240 millions au niveau mondial, ce qui signifie qu’un enfant sur dix vit avec une forme de handicap. Même si le principe d’inclusion et d’égalité de traitement entre tous voudrait que ces enfants jouissent des mêmes droits que leurs pairs, cela reste en pratique difficile, car très peu de progrès ont été réalisés en matière de lutte contre la discrimination et pour lever d’autres obstacles inhérents à la société.

Les difficultés auxquelles ces enfants sont confrontés ont été exacerbées par la Covid-19. Même quand des infrastructures d’enseignement et de services à distance sont mises en place, les apprenants en situation de handicap vivent l’enseignement à distance comme une expérience particulièrement éprouvante s’ils ne bénéficient pas d’une assistance personnalisée adaptée. Cette situation requiert le plus souvent le soutien constant des membres de la famille ou d’assistants.

Afin d’« assurer une éducation équitable, inclusive et de qualité [57] » pour tous, les Objectifs de développement durable nous invitent à faire en sorte que les personnes en situation de handicap aient accès à l’éducation, du primaire au supérieur, et qu’il soit mis à leur disposition des environnements de travail qui répondent à leurs besoins. Agir pour réaliser ces objectifs et résoudre les problèmes que la pandémie de la Covid-19 a mis en lumière est une priorité absolue.

Le domaine de l’éducation a donné lieu à des délibérations extrêmement vigoureuses, au cours des débats menés en vue de l’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de son Protocole facultatif (CDPH) à l’Assemblée générale des Nations unies en 2006. La Convention stipule que les États signataires ont le devoir de pourvoir à l’insertion scolaire à tous les niveaux et d’apporter l’égalité des chances dans le domaine éducatif [58].

La CDPH énonce également un nouveau principe : s’abstenir de mettre en place des « ajustements raisonnables » pour des personnes en situation de handicap, c’est de la discrimination. Il précise, par ailleurs, que ces ajustements raisonnables sont impératifs dans le secteur éducatif.

La Convention a instauré l’idée que la question du handicap n’est pas une affaire personnelle mais qu’elle nécessite des changements dans les systèmes sociaux. Cette nouvelle approche apparue au cours du processus de négociation constitue une victoire considérable. Les ONG travaillant dans le secteur du handicap ont lancé un appel puissant aux gouvernements en instaurant le slogan suivant : « Tout ce qui nous concerne doit se faire avec nous » et la participation de leurs représentants a été obtenue et validée.

La CDPH a été ratifiée par 184 pays et territoires à ce jour. En pensant à la détermination et à l’esprit résolu du grand nombre de personnes impliquées dans la ratification et l’adoption de cette Convention, je lance ici un appel pour que soient déployés encore plus d’efforts afin que l’éducation inclusive devienne une réalité.

Nujeen Mustafa, une réfugiée syrienne souffrant de paralysie cérébrale depuis la naissance, s’est engagée à représenter et à défendre les enfants en situation de handicap pour l’UNHCR. En s’appuyant sur sa propre expérience, elle souligne :

« Il ne suffit pas d’inscrire une personne handicapée dans une école pour parler d’éducation inclusive. Il s’agit de répondre à ses besoins sans lui faire sentir qu’elle est seule, isolée ou différente des autres élèves sans handicap. L’enjeu n’est pas seulement de rendre les toilettes ou les bâtiments accessibles, mais bien de développer les potentiels de cette personne [59]. »

À 16 ans, Mlle Mustafa dut quitter son pays natal, ravagé par la guerre civile. Après avoir parcouru 6 000 km en fauteuil roulant, elle s’est installée en Allemagne. Lors d’une interview, on lui a demandé ce qu’elle pensait de l’éducation inclusive. Parlant au nom des personnes en situation de handicap, elle a souligné alors la nécessité d’une transformation radicale de la perception et des attitudes vis-à-vis du handicap :

« Là où j’ai grandi, si vous avez un handicap, on s’attend à ce que vous viviez en marge de la société, et certainement pas que vous vous développiez en tant que personne, que ce soit au niveau des études ou sur un plan plus personnel…

« En fait, je pense que la société se trompe totalement en ne nous reconnaissant ni le droit de rêver ni celui d’avoir une ambition. Du seul fait que nous avons un handicap, nous sommes censés abandonner tout espoir de voir nos rêves se réaliser. [60] »

Comme le souligne Mlle Mustafa, il n’est pas acceptable que les espoirs des enfants soient étouffés par les conceptions erronées de la société et par les préjugés envers le handicap.

En septembre prochain, l’ONU va se réunir pour le Colloque mondial pour une éducation transformatrice. L’objectif de ce colloque est d’examiner les découvertes d’un rapport de l’Unesco, publié en novembre dernier, qui développe une vision d’avenir pour l’éducation. Afin de repenser le rôle de l’éducation à des moments clés de la transformation de la société, l’Unesco a publié des rapports similaires en 1972 et en 1996. Vingt-cinq ans plus tard, ce nouveau rapport s’inscrit dans cette continuité.

Grâce aux contributions de plus d’un million de personnes lors d’un processus de consultation mondiale, le rapport soulève les questions suivantes :

« Les scénarios futurs les plus extrêmes décrivent un monde où l’éducation de qualité serait le privilège des élites, et où de vastes communautés vivraient dans la misère parce qu’elles n’auraient pas accès aux biens et services de première nécessité. Les inégalités éducatives actuelles vont-elles s’accroître avec le temps et faire perdre leur sens à nos programmes scolaires ? Quel impact vont avoir ces divers scénarios sur l’essence même de notre humanité [61] ? »

Le rapport souligne ensuite l’importance d’une coopération internationale afin de venir en aide aux réfugiés et aux personnes en difficulté, sans oublier la nécessité de garantir le droit à une éducation de qualité pour tous, y compris pour les personnes en situation de handicap. Il exhorte aussi à faire davantage d’efforts au niveau collectif afin d’explorer le rôle que l’éducation pourrait jouer dans une perspective à long terme (2050 et au-delà).

D’après ces conclusions, je pense que le Colloque pour une éducation transformatrice de septembre prochain offrira un cadre idéal pour des discussions fructueuses sur des thèmes tels que l’éducation en situation d’urgence et l’éducation inclusive. L’ordre du jour pourrait aussi inclure l’apprentissage à la citoyenneté mondiale comme moyen indispensable pour développer cette conscience solidaire au niveau mondial, que j’ai appelée de mes vœux dans la première partie de cette proposition pour la paix. Je tiens à affirmer tout mon soutien aux personnes engagées dans ce processus qui consiste à définir et à adopter un plan d’action international pour l’éducation, le développement et le bonheur de tous les enfants.

Conflits, désastres et pandémies représentent des menaces que les enfants ne sont pas en mesure de gérer. Accorder la priorité à l’aide à l’éducation dans les situations d’urgence traduit un engagement clair à ne laisser aucun enfant de côté. Renforcer l’éducation inclusive à tous les niveaux, du primaire au supérieur, améliorera l’environnement éducatif de tous les enfants confrontés à toutes sortes de difficultés et de discrimination.

J’aimerais, pour finir, affirmer ma conviction que l’apprentissage à la citoyenneté mondiale servira à l’avenir de base commune pour s’attaquer aux crises auxquelles l’humanité doit faire face. Comme je l’ai mentionné précédemment, mon maître, Josei Toda, le deuxième président de la Soka Gakkai, exprimait l’idée d’une citoyenneté mondiale en utilisant l’expression chikyu minzokushugi (voir encadré plus haut) et je me suis attaché à développer une éducation qui promeut cette citoyenneté. La SGI n’a cessé de faire des efforts en ce sens.

D’ici la fin du siècle, on s’attend à ce que la population mondiale atteigne 10,9 milliards de personnes. Je suis convaincu que l’adoption d’un plan d’action international pour l’éducation, le développement et le bonheur de tous les enfants au prochain Colloque pour une éducation transformatrice va poser des bases cruciales pour protéger les rêves et les espoirs des enfants d’aujourd’hui, et de tous ceux appelés à naître à l’avenir.

L’abolition des armes nucléaires : la clé d’un avenir durable pour notre planète

Le troisième thème essentiel que j’aimerais aborder concerne la nécessité impérative d’abolir les armes nucléaires. À cette fin, je souhaiterais formuler deux propositions.

La première porte sur des mesures propres à libérer le monde de doctrines de sécurité reposant sur les armes nucléaires.

Ce 3 janvier, les dirigeants de cinq États dotés d’armes nucléaires – États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France – ont émis une déclaration sur la prévention de la guerre nucléaire et des courses aux armements. Bien que sujette à diverses interprétations, celle-ci proclame clairement qu’une « guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée » et exprime la volonté de rechercher collectivement des moyens d’éviter les affrontements militaires [62]. Il est à espérer que cette volonté débouchera sur une action positive.

J’appelle ici le Conseil de sécurité des Nations unies à prendre cette déclaration conjointe et le principe de modération comme base d’une résolution exhortant ces cinq États dotés d’armes nucléaires à adopter des mesures concrètes pour remplir leurs obligations en matière de désarmement nucléaire, telles qu’elles sont stipulées par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Je préconise en outre qu’une disposition appelant à organiser une réunion de haut niveau sur la réduction de ces armes soit adoptée et incluse dans la déclaration finale de la Conférence d’examen du TNP, qui doit se tenir cette année. Les États qui possèdent des armes nucléaires mais n’ont pas adhéré au TNP devraient être invités à participer à cette réunion, ce qui favoriserait considérablement les progrès en direction du désarmement nucléaire.

Même en pleine crise de la Covid-19, les dépenses militaires mondiales n’ont cessé d’augmenter [63]. Les arsenaux actuels comptent plus de 13 000 ogives nucléaires et la modernisation se poursuit sans qu’on puisse en entrevoir la fin [64]. Il est à craindre que nous n’assistions à un nouvel accroissement de l’arsenal nucléaire mondial.

La pandémie a également mis en lumière les nouveaux risques liés aux armes nucléaires en créant des situations susceptibles de perturber la chaîne de commandement : des dirigeants politiques d’États dotés d’armes nucléaires ont dû transférer provisoirement leurs pouvoirs à leurs remplaçants en raison de l’infection à la Covid-19. Des foyers importants se sont également déclarés à bord d’un porte-avions nucléaire et d’un destroyer lance-missile.

Dans une allocution sur la question des armes nucléaires prononcée en septembre dernier, Mme Izumi Nakamitsu, haute représentante des Nations unies pour les affaires de désarmement, a souligné un autre point mis en relief par la pandémie : « [Cela] nous a enseigné que des événements apparemment peu probables peuvent en fait survenir à l’improviste, mais avec des conséquences catastrophiques au niveau mondial [65]. »

Je voudrais, moi aussi, vous mettre en garde contre le risque encouru si nous manifestons une confiance excessive dans le fait que nous ne risquons pas d’être confrontés à cette catastrophe que serait un recours aux armes nucléaires. Comme l’a souligné Mme Nakamitsu dans son allocution, c’est uniquement grâce à l’action conjuguée de la chance et de personnes qui ont empêché certains incidents de conduire à une escalade fatale que nous n’avons connu aucun autre cas d’utilisation d’armes nucléaires depuis les bombardements de Hiroshima et Nagasaki. De nos jours, dans « un environnement international instable, où les garde-fous ont été affaiblis ou sont complètement inexistants [66] », nous ne pouvons plus nous permettre de compter uniquement sur ces facteurs humains ou sur la chance.

Actuellement, le seul cadre bilatéral restant pour le désarmement nucléaire est le Nouveau Traité de réduction des armements stratégiques (nouveau START [67]) que la Russie et les États-Unis ont décidé de proroger en février 2021.

La Conférence d’examen du TNP, initialement prévue pour ce mois-ci, a été reportée en raison de l’impact de la pandémie. Une nouvelle réunion est maintenant envisagée en août prochain. La dernière conférence d’examen, qui a eu lieu en 2015, n’a pas abouti à la rédaction d’un document final et cet échec ne doit pas se reproduire. J’engage instamment les parties à mettre au point des mesures concrètes permettant d’honorer l’engagement figurant dans le préambule du TNP de «ne ménager aucun effort pour écarter le risque d’une telle guerre [68] ».

L’esprit réaffirmé par la déclaration conjointe de cinq États dotés d’armes nucléaires, selon lequel « une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée [69] », a été formulé pour la première fois à Genève durant la guerre froide, en novembre 1985, lors de la rencontre entre le président des États-Unis, Ronald Reagan (1911-2004), et le secrétaire général du Parti communiste soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. L’importance de garder cet état d’esprit qui animait le sommet de Genève de 1985 a également été évoquée dans la déclaration publiée à l’issue du sommet américano-russe en juin dernier.

Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait offrir l’occasion de débattre des mesures nécessaires pour mettre fin à l’ère des armes nucléaires en incluant les conclusions de ces débats dans une résolution, ce qui initierait un processus de transformation en profondeur.

La déclaration commune américano-soviétique publiée à l’occasion du sommet de Genève de 1985 est largement reconnue comme annonçant l’ouverture de pourparlers sur le désarmement nucléaire, qui ne bénéficieraient pas seulement aux deux superpuissances mais à l’humanité tout entière. Par la suite, l’ex-président Gorbatchev a expliqué ainsi sa décision de s’engager sur la voie du désarmement nucléaire :

« Imaginons que l’on fasse rouler une pierre du haut d’une montagne, en présumant qu’à elle seule, elle ne provoquera pas l’effondrement de cette montagne. Puis, sous l’action de cette unique pierre, partout sur la montagne, des pierres se mettent à rouler, entraînant un effondrement total.

Une guerre nucléaire peut éclater de la même manière. Le lancement d’un seul missile peut tout déclencher. De nos jours, les systèmes de commande et de contrôle des armes nucléaires stratégiques sont presque entièrement informatisés. Plus il y a d’armes nucléaires, plus la possibilité d’une guerre nucléaire accidentelle grandit [70]. »

La mise au point d’armes nucléaires se poursuit et le flot continu de nouveaux moyens de confrontation avec d’autres pays reflète probablement le présupposé que pas une seule de ces actions ne provoquera l’effondrement de la montagne. Les États détenteurs d’armes nucléaires ainsi que les États dépendant de ces armes doivent faire face à cette dure réalité : ils se condamnent eux-mêmes, ainsi que le monde entier, à des conditions de précarité extrême et incessante tant qu’ils s’appuieront sur une dissuasion nucléaire reposant sur une menace mutuelle.

Au cours d’un dialogue que j’ai mené avec l’ancien président Gorbatchev, ce dernier a souligné : « Il devient de plus en plus évident que les armes nucléaires ne sauraient constituer un moyen d’assurer la sécurité des pays. En réalité, d’année en année, les armes nucléaires compromettent encore plus notre sécurité [71]. »

Pour sortir de l’impasse actuelle, caractérisée par un risque accru d’utilisation des armes nucléaires, le plus urgent, à mon sens, est de trouver un moyen de nous « désintoxiquer » des doctrines de sécurité dépendantes des armes nucléaires.

L’objectif proclamé de la politique de dissuasion nucléaire est d’empêcher le pays adverse de recourir en premier à des armes nucléaires. Cette politique renferme cependant une contradiction en ce sens qu’une position dissuasive, même aux fins de prévenir l’emploi d’armes nucléaires, nécessite que l’on montre sans cesse que l’on est soi-même prêt à les utiliser. Pour surmonter cette contradiction et exclure ces armes de la politique de sécurité, il convient de réexaminer le type de mesures désormais nécessaires, notamment celles qui créeront des conditions plus positives au sein de la société internationale.

La sécurité nationale est sans doute une préoccupation primordiale. Mais quel sens y a-t-il à dépendre constamment des armes nucléaires lorsque celles-ci sont capables de causer des dommages si dévastateurs, tant au pays adverse qu’au nôtre, et de saper irrémédiablement les fondements mêmes de la survie de l’humanité ?

Dans cette optique, il nous faut engager ce processus de désintoxication en centrant avant tout notre attention, non pas sur les actions des autres pays mais sur les nôtres. Ainsi, les États pourront commencer à remplir l’engagement figurant dans le préambule du TNP et, réellement, à « ne ménager aucun effort pour écarter le risque d’une telle guerre ».

Il devrait être clair que le TNP n’a pas pour but de pérenniser un état de menace nucléaire réciproque qui serait le destin inéluctable de l’humanité. Nous ne saurions oublier que l’obligation de réaliser le désarmement nucléaire a été stipulée par l’article VI du TNP. C’était même l’élément clé de cet article, né d’un consensus fondé sur la prise de conscience qu’il s’agissait là d’une question à régler impérativement.

À la différence de la guerre froide, nous vivons maintenant à une époque où les dirigeants politiques ont la possibilité de se rencontrer en ligne au beau milieu d’une crise et de scruter les réactions sur leurs visages en temps réel. Et, cependant, ils continuent à lancer des actions mues par la méfiance et la suspicion, et gardent leurs arsenaux nucléaires prêts à l’usage.

On peut lire dans la déclaration commune des cinq États détenteurs d’armes nucléaires déjà citée : « Nos déclarations passées sur le déciblage, qui ont rappelé qu’aucune de nos armes nucléaires ne prendrait pour cible l’un d’entre nous ou un quelconque autre État, demeurent valides [72]. » C’est là une incitation à faire preuve de retenue car le temps est maintenant venu pour les États dotés d’armes nucléaires de procéder à une réorientation fondamentale de leurs politiques de sécurité et d’éradiquer la menace nucléaire existant depuis l’aube de la guerre froide. Pour favoriser un tel climat, il y a lieu d’engager des négociations sur des mesures visant notamment à réduire le rôle des armes nucléaires dans les politiques de sécurité ; désamorcer les conflits et limiter au maximum le risque d’un emploi accidentel de celles-ci, tout en cessant d’en développer de nouvelles.

En 2023, le Japon accueillera le sommet du G7. Je propose que se tienne en parallèle à Hiroshima une réunion de haut niveau sur la réduction du rôle des armes nucléaires, à laquelle pourraient également participer des dirigeants de pays non-membres du G7, afin de mener des débats intensifs sur les moyens de promouvoir des mesures concrètes.

Le 21 janvier de cette année, le Japon et les États-Unis ont émis une déclaration commune sur le TNP. Les deux gouvernements y déclarent que « les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, gravés à jamais dans la mémoire du monde, rappellent cruellement que le record de 76 ans de non-utilisation de l’arme nucléaire doit être maintenu [73] ». Ils ont en outre invité notamment les dirigeants politiques et les jeunes à visiter Hiroshima et Nagasaki afin d’accroître la sensibilisation aux horreurs causées par l’emploi des armes nucléaires.

Je souligne depuis longtemps l’importance, pour les dirigeants politiques, de visiter les sites des bombardements atomiques. Un sommet qui se tiendrait à Hiroshima offrirait une excellente occasion pour cela.

En plus de favoriser un climat propice à l’instauration du principe de non-recours généralisé aux armes nucléaires, comme mesure menant à leur abolition mondiale, cette réunion de haut niveau devrait instaurer des interdictions relatives aux cyberattaques dirigées contre des systèmes liés aux armes nucléaires ainsi qu’à l’intégration de l’intelligence artificielle dans la commande de ces systèmes, points que j’ai abordés dans ma Proposition pour la paix de 2020.

Je recommande vivement que, grâce à ces efforts, les négociations visant à assurer le respect des obligations en matière de désarmement stipulées dans l’article VI du TNP passent à la vitesse supérieure, afin de générer une dynamique irréversible en faveur de l’abolition des armes nucléaires.

Notre responsabilité commune face à l'avenir

Ma deuxième proposition sur la question des armes nucléaires concerne le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) et, là encore, j’appelle instamment le Japon et les autres États dépendants du nucléaire, ainsi que les États dotés d'armes nucléaires, à participer en tant qu'observateurs à la première réunion des États parties (1REP) au TIAN, qui se tiendra à Vienne au mois de mars. Je suggère également que l'on s'engage, lors de cette réunion, à créer un secrétariat permanent chargé de veiller au respect des obligations et de la coopération internationale stipulées dans le TIAN.

La Suisse, la Suède et la Finlande, non-signataires du TIAN, ainsi que la Norvège et l'Allemagne, membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), ont déjà indiqué qu'ils participeraient à cette réunion en tant qu'observateurs. L'Otan a l'habitude de permettre aux États membres de choisir leur voie en matière d'armes nucléaires. Le TIAN, quant à lui, ne comporte aucune interdiction spécifique à l'encontre des États parties qui entretiennent des relations d'alliance avec des États dotés d'armes nucléaires.

Le fait que la Norvège et l'Allemagne cherchent à obtenir le statut d'observateur à la première réunion des États parties revêt une importance toute particulière, car de nombreuses villes des pays membres de l'Otan se sont jointes à des centaines d’autres municipalités du monde entier pour signer l'Appel mondial des Villes en faveur de la Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires (ICAN). Ces villes entendent ainsi exprimer leur soutien au TIAN et encourager leurs gouvernements respectifs à adhérer au traité. Parmi les signataires de cet appel figurent des villes de pays dotés d’armes nucléaires, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Inde, ainsi que Hiroshima et Nagasaki [74].

L'ordre du jour de la 1REP du TIAN inclut la fourniture d'une assistance aux victimes de l'utilisation et des essais d'armes nucléaires, ainsi que l'assainissement des environnements contaminés. Le Japon devrait participer aux discussions et apporter sa contribution en montrant ce qu’ont été les désastres de Hiroshima et Nagasaki et en tirant les leçons de l'accident nucléaire de Fukushima en 2011.

Dans une récente interview, Oliver Meier, chercheur principal au bureau de Berlin de l'Institut de recherche sur la paix et la politique de sécurité de l'université de Hambourg, a déclaré que la participation de l'Allemagne en tant qu'observateur à la première réunion pourrait contribuer à renforcer le multilatéralisme et le désarmement nucléaire. Interrogé sur le souhait du Japon de servir de pont entre les États dotés d'armes nucléaires et les États qui n’en possèdent pas, il a répondu que, en tant qu'observateur, le Japon pourrait tenir un rôle qui ne peut être dévolu qu’à un pays ayant connu une attaque atomique et servir ainsi de pont dans les discussions entre les deux types d’États [75].

En 2017, le Japon a organisé le Groupe de personnes éminentes pour l'avancement effectif du désarmement nucléaire (SAG), en invitant des experts d’États dotés d'armes nucléaires et d’États qui n’en possèdent pas. Des suivis ont également eu lieu ultérieurement, et les délibérations pourraient en effet être plus constructives si le Japon participait en tant qu'observateur et rendait compte des conclusions du SAG. J'invite instamment le Japon à faire des efforts en œuvrant à la signature et à la ratification rapides du traité.

Lors de la première réunion des États parties à la Convention sur les armes à sous-munitions, trente-quatre États ont participé en tant qu'observateurs, dont beaucoup sont ensuite devenus des États parties [76]. De la même manière, il est essentiel que le plus grand nombre possible de pays participent en tant qu'observateurs à la première réunion des États parties du TIAN afin qu’ils puissent voir les efforts et la forte détermination des États parties et de la société civile à parvenir à l'abolition des armes nucléaires. Cela contribuera à faire apprécier par tous la manière dont le TIAN ouvre de nouveaux horizons pour notre monde.

L'importance du TIAN dépasse le cadre d'un traité de désarmement conventionnel, dans la mesure où il repose sur un engagement à défendre les normes humanitaires - prévenir les destructions catastrophiques - et les droits humains - sauvegarder le droit à la vie des peuples du monde. Dans le domaine des biens communs mondiaux, déjà évoqué ici dans la partie consacrée au changement climatique, le TIAN est indispensable pour protéger la paix de toute l'humanité et pour préserver l'écosystème mondial, dont dépend la vie de la génération actuelle et des générations futures.

En gardant à l'esprit toute l'importance du TIAN, il faudrait engager des discussions profondes sur les impacts négatifs d’une sécurité dépendant du nucléaire dans le monde d'aujourd'hui et celui de demain.

Cette première réunion peut être l'occasion d'un dialogue au-delà des différences. Au fur et à mesure que le nombre d'États parties augmentera et que les pays qui ne se sentent pas prêts pour l’instant à signer ou ratifier le TIAN commenceront à reconnaître sa valeur et son importance, je suis convaincu que l'énergie et la volonté politique nécessaires pour mettre fin à l'ère des armes nucléaires s’en trouveront stimulées.

C'est pour cela que j’appelle à la création d'un secrétariat permanent qui servira à unir les efforts des gouvernements et de la société civile afin d'universaliser les idéaux et les engagements du TIAN.

Dans le cadre de la campagne de la Décennie des peuples pour l'abolition nucléaire, lancée pour la première fois par la SGI en 2007, nous avons travaillé avec l’ICAN et d'autres groupes en faveur de l'adoption d'un traité d'interdiction des armes nucléaires. La deuxième Décennie des peuples pour l'abolition nucléaire a débuté en 2018, l'année qui a suivi la création du TIAN. La deuxième Décennie se concentre sur l'universalisation des idéaux du TIAN grâce au travail des acteurs de la société civile. Cette année, nous nous engageons à poursuivre cette dynamique car nous sommes convaincus que le soutien des peuples du monde est essentiel pour renforcer l'efficacité du traité.

Je me souviens ici de l’importance accordée par le Pr Galbraith à l'élimination de la menace nucléaire. Pour lui, c’était un projet sur lequel nous devions travailler tous ensemble – et c’était une conclusion qui reflétait son expérience directe du tumulte et des nombreuses crises qui ont marqué le XXe siècle. Au terme de ses mémoires intitulées A Life in Our Times (Une vie à notre époque), il a écrit : « J'ai remarqué que ceux qui écrivent leurs mémoires se demandent jusqu’à quel point ils peuvent prendre parti sur les questions publiques [77]. » Pour sa part, il termine son livre par un sujet autre que l'économie, son domaine d'expertise, choisissant plutôt de conclure sur les armes nucléaires, qui avaient toujours été pour lui un sujet de préoccupation depuis sa première visite au Japon à l'automne 1945, peu après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki.

Il cita alors un discours qu'il avait prononcé en 1980 :

« Si nous échouons dans la maîtrise de la course aux armements nucléaires, tous les autres sujets dont nous débattons ces jours-ci seront dénués de sens. La question des droits civiques ne se posera pas car il n'y aura personne pour en bénéficier. Il n'y aura pas non plus de problème de dégradation urbaine, car nos villes auront disparu. Alors, soyons en désaccord, si possible dans la bonne humeur, sur les autres questions, mais décidons ensemble avec tous nos compatriotes, tous nos alliés, tous les êtres humains, d’agir pour mettre un terme à cette horreur nucléaire qui plane maintenant comme un nuage sombre au-dessus de toute l'humanité [78]. »

Comme le professeur Galbraith l'a si bien fait remarquer, la nature inhumaine des armes nucléaires ne se limite pas aux conséquences catastrophiques de leur usage. Quel que soit le nombre de personnes qui s'efforcent de créer un monde et une société meilleurs, et quelle que soit la durée de ces efforts, si une guerre nucléaire éclate, tout aura été vain. La réalité de l'ère nucléaire est que nous sommes contraints de vivre en permanence en compagnie du pire – du plus incompréhensible et du plus absurde – des dangers qu’on puisse imaginer.

L'engagement de la SGI dans ce domaine remonte à la déclaration du président Toda en 1957, qui lança alors son appel à l'abolition des armes nucléaires. Au milieu d'une course aux armements qui s'intensifiait entre les États détenteurs d’armes nucléaires, l'Union soviétique venait de tester le mois précédent un missile balistique intercontinental, créant une nouvelle réalité dans laquelle toutes les parties du globe étaient désormais exposées à la possibilité d'une attaque nucléaire.

Face à cette réalité effrayante, M. Toda a souligné que l'utilisation d'armes nucléaires par n'importe quel État devait être radicalement condamnée, exprimant ainsi sa colère face à la pensée sous-jacente qui justifie leur possession : « Mon désir est d’attaquer le problème à la racine, autrement dit d’arracher les griffes cachées au cœur même de cette question [79] », a-t-il déclaré.

Je me souviens comme si c'était hier de l'indignation de mon maître face à la nature inhumaine des armes nucléaires, qui peuvent priver chacun d'entre nous du sens et de la dignité de sa vie, et détruire entièrement les rouages de la société humaine. En tant que disciple déterminé à concrétiser sa vision, j'ai ressenti la justesse de sa colère au plus profond de mon être.

Convaincu que le destin de l'humanité ne peut pas être transformé si l’on ne résout pas le défi posé par les armes nucléaires, mal fondamental de la civilisation moderne, j'ai constamment abordé cette question dans mes Propositions pour la paix annuelles depuis 1983 et j'ai lutté pour l'interdiction des armes nucléaires.

Plusieurs décennies plus tard, le TIAN, un traité où résonne l'esprit de la déclaration de M. Toda, est entré en vigueur et la première réunion des États parties est sur le point de se tenir. Si nous continuons dans cette direction, nous pourrons parvenir à une étape cruciale pour l’abolition des armes nucléaires, l'objectif ardemment recherché par tant de personnes dans le monde, à commencer par les hibakusha – les victimes des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, et les personnes touchées par le développement et les essais de ces armes dans le monde.

Assumer notre responsabilité envers l'avenir, c’est agir dans ce sens. Avec une profonde conviction, la SGI continuera d'avancer, en développant la solidarité au sein de la société civile et en mettant l’accent sur la jeunesse, afin de créer une culture de paix où chacun pourra jouir du droit de vivre en parfaite sécurité.

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